Est-il dangereux de devenir acteur/actrice porno ? [Partie 1]
L’industrie du porno est un des rares milieux où, en général, les femmes sont mieux payées que les hommes. Mais la réalité humaine de ce milieu n’est pas rose.
« — Ça paraît bête, mais dire que les gens savent dans quoi ils se lancent quand ils commencent, c’est des conneries. Ils n’ont aucune idée de ce qui les attend » confie Phyllisia, une ancienne actrice porno, à Laurent Ortis, journaliste, qui renchérit :
« — Tu savais quand même dans quoi tu atterrissais, non ? »
« — Pas exactement. Je viens d’une ferme du fin fond du Texas, je me suis barrée de chez moi à 12 ans. La vie, je l’ai apprise sur le tas[1]. »
Ainsi, la vie rêvée des acteurs et actrices porno, à qui l’on promet la richesse et la gloire ne semble pas aussi évidente. Ils sont nombreux à se lancer dans la pornographie en espérant connaître le succès rapidement. Mais beaucoup déchantent. En effet, être acteur ou actrice porno n’est pas un métier comme les autres. Il comporte des contraintes importantes notamment pour le corps. Alors pourquoi choisir ce métier ? Quelles sont les motivations premières de ces acteurs/actrices ? L’argent arrive loin devant tout le reste.
L’argent et la pornographie
Dans la plupart des cas, c’est l’argent qui conduit vers l’industrie pornographique. Il revient sans cesse dans les témoignages des acteurs et actrices qui veulent bien expliquer ce qui les a poussés à faire le pas. Dans son livre, le journaliste Robin d’Angelo demande à une actrice : « Je croyais que tu étais venue pour le fun ? » Elle lui répond sans détour : « Faut pas croire ce que je dis. Je suis juste trop en dèche de thunes. » En plus de son métier d’actrice X, elle a plusieurs petits boulots[2].
Une exception importante : l’industrie du porno est un des rares milieux où, en général, les femmes sont mieux payées que les hommes[3]. Mais en réalité, peu de femmes sont en mesure de négocier leurs salaires. Seules celles dont le nom fait vendre se le permettent. Ainsi, une majorité doivent accepter ce qui leur est proposé. Le contrat se négocie le plus souvent sur le plateau du tournage, voire après la scène[4]. L’actrice ou l’acteur peut d’ailleurs avoir des difficultés à en obtenir une copie. Pire, parfois il n’y a tout simplement pas de contrat. Ils sont nombreux à travailler au noir. Se faire ainsi piéger à ses débuts est monnaie courante, particulièrement dans le porno amateur. Certains commencent ainsi à 150 euros pour trois scènes. « C’était ça ou rien, soit tu étais ok, soit tu rentrais chez toi » confie Emma[5].
La précarité explique bien souvent l’entrée dans cet univers professionnel, à la fois transgressif et attrayant par bien d’aspects : argent, gloire, éventuellement plaisir ou défis personnels… Mais il faut être un dur à cuire pour tenir dans ce milieu où la réalité n’a rien à voir avec l’image qu’il peut renvoyer. « Elle n’avait pas trop envie de venir mais c’est bientôt Noël et faut payer les cadeaux aux enfants[6] » explique ainsi un réalisateur aux acteurs avant de commencer le tournage. Pour gagner un peu plus que d’habitude, les acteurs et les actrices sont obligés d’accepter des pratiques qu’ils auraient normalement refusées. « Dans le porno, la contrainte sexuelle fait implicitement partie du contrat. » affirme Robin d’Angelo[7]. Elle fait même partie de nombreuses scènes porno. Le consentement est optionnel à la fois dans les scènes (dans le cas d’un viol simulé par exemple) et dans la réalité : certaines actrices sont réellement contraintes par le réalisateur et/ou le(s) acteur(s) à poser tel ou tel acte. La plupart du temps, les acteurs et les actrices n’osent pas refuser, de peur de ne plus être rappelés ou d’être mal payés. L’alternative est de multiplier les scènes softcore mais celles-ci sont de plus en plus rares et forcément moins bien payées que les scènes hardcore.
L’absence de réel statut pour cette profession ne permet pas de protéger suffisamment les actrices/acteurs. De fait, l’industrie pornographique reste mal encadrée. Cette situation place les acteurs/actrices dans une situation de grande vulnérabilité et les pousse à adopter des comportements à risques pour tirer parti le plus vite possible des opportunités (dont profite également les réalisateurs) qu’offre cette faible réglementation.
Le corps comme source de revenus
Bien sûr, le corps est le premier a faire les frais de ce contexte socio-professionnel compliqué. Etant l’outil de travail des acteurs/actrices porno, il doit toujours apparaitre à son avantage, au meilleur de sa forme et au sommet de sa performance. Beaucoup d’entre eux font alors le choix de recourir à la chirurgie esthétique. Certains vont jusqu’à l’extrême. Ainsi, Lolo Ferrari, actrice X décédée en 2000, avait subi plus de 25 opérations chirurgicales : lifting, chirurgie des yeux par 3 fois, gonflages des lèvres, changements au niveau du nez et surtout, une augmentation de son tour de poitrine qui mesurait à la fin de sa vie près de 180 cm[8]. Cette particularité lui valut de décrocher de nombreux rôles. Les opérations de chirurgie esthétique du vagin sont également courantes. Bien souvent, elles entrainent une diminution des sensations de plaisir. Elles ne sont pas sans risques[9].
Des souffrances physiques
Ce sont les réalisateurs qui ont le dernier mot et qui le plus souvent forcent la main aux acteurs/actrices. « J’avais dit pas d’anal et ils l’ont fait quand même » confie une actrice interrogée par Robin d’Angelo[10]. Et si cette dernière souffre, un acteur déclare :« Tu commences un truc, tu finis, c’est normal. Ce n’est pas elle qui décide ».
« Tu crois qu’une patineuse artistique, elle ne se fait pas mal à la cheville » coupe le réalisateur suite à la protestation d’une actrice refusant une pénétration[11]. La violence n’est donc pas que graphique. Elle est souvent bien présente pendant et après le tournage, qu’elle soit physique ou psychique.
De réels dangers pour la santé des actrices/acteurs
Plusieurs pratiques courantes dans la pornographie restent dangereuses mais tendent pourtant à se normaliser. La sodomie par exemple est aujourd’hui une pratique courante voire anodine dans les vidéos[12]. « Presque toutes les actrices que j’ai rencontrées disent que cette pratique leur est douloureuse sur le tournage mais elles ne peuvent refuser : un porno sans sodomie, ce n’est plus un porno » explique Robin d’Angelo[13].
Il n’est pas le seul à rappeler que cette pratique n’est pas sans risque. Le docteur Lemarchand précise « qu’il y a un risque infectieux et un risque d’hématome[14]. » D’autre part, la réalisatrice de films pornographiques Ovidie rappelle que beaucoup d’actrices « morflent et/ou ne sont pas à l’aise avec l’image que leur renvoie cette pratique. » D’après elle, la sodomie « peut devenir plus douloureuse lorsqu’elle s’effectue dans le cadre stressant d’un lieu de tournage. Surtout lorsqu’on tourne avec un partenaire qu’on ne connaît pas forcément[15]. » Cette pratique s’est banalisée et les actrices n’ont aujourd’hui plus réellement d’options. « C’est un peu le travail du dimanche pour l’employé lambda. On ne te l’impose pas, mais on te fait comprendre que si tu veux un poste t’as intérêt à t’y faire » conclue Ovidie[16]. Les pratiques anales peuvent par ailleurs entraîner des prolapsus, c’est-à-dire des descentes d’organes. La sodomie « augmente les risques d’opération » affirme le Dr Lemarchand[17]. Enfin, ces pratiques nécessitent d’adopter un régime alimentaire contraignant plusieurs jours avant le tournage et de préparer le rectum et le colon à la pénétration par des lavements, pratique demandant précision et expertise, sous peine d’entraîner des infections, irritations voire perforations de l’intestin.
MST, Sida…Les actrices/acteurs sont-ils protégés ?
Qui dit pornographie dit relations sexuelles fréquentes avec des partenaires variés et sans forcément de préservatif. Les maladies sexuellement transmissibles sont une réalité avec laquelle les acteurs/actrices porno doivent travailler. Bien que les grandes productions imposent des dépistages réguliers, cela n’est pas forcément le cas dans le porno amateur. Il faut être négatif pour pouvoir tourner. Alors, certains acteurs/actrices falsifient leurs tests pour avoir du travail[18]. Une actrice déclare à propos des MST :« Je dois être protégée par une bonne étoile, le pire que j’ai chopé c’est un chlamydiose. Mais autour de moi, beaucoup ont attrapé bien pire. Les staphylocoques sont monnaie courante, je connais quelqu’un qui a perdu une jambe. Tout le monde a eu des sales trucs[19]. »
Le port du préservatif n’est pas la norme dans l’industrie pornographique. Son port n’est pas obligatoire dans tous les pays (il l’est en France mais pas à Budapest, capitale européenne du porno). En Californie, un débat a eu lieu en 2016 sur le port obligatoire du préservatif sur les tournages et la mise en place de certaines mesures de protection des acteurs/actrices. Le projet de loi Prop 60 visait également à faire payer aux producteurs de films pornographiques certains frais de santé et tests réguliers des acteurs/actrices. Il s’agissait de protéger au mieux leur santé. Ce projet de loi n’a pas été retenu. On remarque que sept firmes de l’industrie pornographiques ont versé des sommes importantes pour soutenir une campagne anti-Prop 60, certaines ayant des liens étroits avec MindGeek USA, Inc., le successeur de Manwin USA, Inc, propriétaire du célèbre site pornographique Pornhub[20]. La santé des acteurs/actrices porno n’est donc pas une priorité aux yeux des producteurs[21]. Certaines pratiques comme la fellation ou l’éjaculation faciale sont généralement réalisées sans préservatifs que ce soit en France, aux Etats-Unis ou ailleurs. Or, elles peuvent elles aussi être des vecteurs de MST. Dans la grande majorité des cas, les acteurs/actrices sont donc mal protégés.
Et les hommes dans tout ça ?
Les femmes ne sont pas les seules à prendre des risques dans le porno qui est également très exigeant envers les hommes. En effet, le tournage d’une scène peut durer plusieurs heures et durant tout ce temps, l’acteur doit rester en érection. Or, comme l’explique Mathieu Trachman, l’érection n’est pas systématique. Elle est due à une combinaison de facteurs physiques, psychologiques et sociologiques. « Les acteurs ne choisissent pas leurs conditions de travail. Ils doivent alors faire abstraction de leur partenaire ou de la situation en mobilisant des fantasmes personnels » affirme-t-il[22]. Cependant, convoquer des fantasmes pour maintenir l’érection ne fonctionne qu’un temps. Greg, un acteur porno explique que ce métier « use ». Ainsi, même s’il est dans un premier temps excitant, les contraintes apparaissent rapidement. Il faut donc utiliser des stimulants médicamenteux comme le Viagra ou le Cialis. En temps normal, ces produits sont utilisés ponctuellement pour lutter contre les troubles de l’érection. Dans le cadre de l’industrie pornographique, ils sont monnaie courante. Leur utilisation répétée est bien sûr risquée.
Pour avoir un effet immédiat, certains acteurs, comme Ronald Baker, se sont vus obligés par la production de s’injecter du Cialis directement dans leur pénis. Les doses sont parfois trop élevées et peuvent avoir de lourdes conséquences. Un acteur s’est ainsi retrouvé aux urgences après avoir pris 80 milligrammes de Cialis (soit 4 fois la dose prescrite) car l’érection ne s’arrêtait pas. Ces produits peuvent causer ce qu’on appelle le priapisme, c’est-à-dire des érections anormalement longues (pouvant aller jusqu’à 12 heures). Comme l’explique le professeur Desvaux, la consommation répétée de ces produits peut empêcher les érections naturelles[23]. Certaines pratiques peuvent également entraîner des blessures graves au niveau des organes génitaux masculins[24].
Être acteur/actrice porno n’est donc pas sans risque. Le monde de la pornographie est le domaine du fantasme et du rêve. Il ne faudrait pas que ce voile idyllique masque les réelles souffrances de ceux et celles qui font vivre cette industrie.
[1] Ortiz Laurent, Porn Valley: Une saison dans l’industrie la moins fréquentable de Californie, 2018
[2] D’Angelo Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, 2018.
[3] Pour les hommes, le salaire est de 100 à 300 euros par scène, pour les femmes, il oscille entre 150 et 600 euros, voire plus pour les plus actrices starisées (valable aux Etats-Unis surtout).Trachman Mathieu, Hiérarchie des salaires et plaisir au travail dans la pornographie, 2013
[4] « Pornographie — Hors cadre », Mouvement du Nid — France, vidéo postée sur YouTube le 4 mars 2020 : https://www.youtube.com/watch?v=9eJ0VxorwDs
[5] Trachman Mathieu, Hiérarchie des salaires et plaisir au travail dans la pornographie, 2013
[6] D’Angelo Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, 2018
[7] Chahuneau Louis, « Dans la pornographie, la contrainte sexuelle fait partie du contrat », Le Point, 18/10/2018
[8] Heny Michel, « Lolo noyait son mal de vivre dans ses folies », Libération, 11/03/2000
[9] Solano Catherine, « Chirurgie esthétique sexuelle des femmes, jusqu’où ira-t-on ? », Passeport santé, 2015
[10] D’Angelo Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, 2018
[11] Chartier Claire, Le viol et Nous. Enquête sur un fléau social, 2019
[12] Bien sûr, cela vaut d’autant plus pour les acteurs porno gay.
[13] D’Angelo Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, 2018
[14] « Docteur, quels sont les risques liés aux pratiques anales extrêmes ? », Le Tag Parfait, 10/07/2013
[15] « Pourquoi la sodomie est plus compliquée qu’on ne le pense dans le porno », Les Inrockuptibles, 2015
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Sida : l’importance de se faire régulièrement dépister pour Luna Rival, tête d’affiche du salon So Sexy, Actu Comtoise, 24/03/2018
[19] Ortiz Laurent, Porn Valley: Une saison dans l’industrie la moins fréquentable de Californie, 2018
[20] « California Opens Probe of Foreign Money Going to Anti-Prop 60 Campaign », AIDS Health, 30 septembre 2016
[21] « On a atteint un stade de violence inouïe dans le porno »,Ovidie, vidéo YouTube publiée le 13 janvier 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=IkXt-sfkuMA
[22] Trachman Mathieu, Hiérarchie des salaires et plaisir au travail dans la pornographie, 2013
[23] Devaux Pierre, « Le priapisme, qu’est-ce que c’est ? », RMC, 14/01/2016
[24] « Aurora Snow Reveals The Truth Behind Porn’s Broken Penis Legend », Huffington Post, 06/12/2017