Confinement et pornographie : un cocktail explosif ?

We Are Lovers
8 min readMay 21, 2021

« En dix ans, l’humanité a regardé l’équivalent de 1,2 millions d’années de pornographie »[1], annonçait dans son livre Ovidie en février 2018. L’ex-actrice de films pornographiques a souhaité mettre en garde notre société face à l’influence croissante de la porn culture, dont la gratuité des sites combinée à l’immédiateté du streaming encourage l’accès aux contenus pornographiques.

Mars 2020, la France est confinée. Dès le 25 mars, le gouvernement français demande à l’entreprise française MindGeek de réduire la qualité de résolution des vidéos pornographiques de ses sites Pornhub et YouPorn pour alléger la bande passante et favoriser le télétravail. Avec le confinement, la tendance s’est apparemment renforcée[2],[3]. Quelles sont les raisons d’une telle augmentation ? Elle est due majoritairement aux stratégies marketing mises en place par les producteurs depuis le début de la crise sanitaire. L’objectif est simple : accroître le profit grâce à la hausse du nombre de téléspectateurs. Mais si l’offre est adaptée c’est aussi que la demande augmente.

Le confinement représente une opportunité commerciale inédite pour ces entreprises dont le business model bénéficie des longs temps d’exposition aux écrans. En effet, cette période de repli dans nos maisons conduit les Français à utiliser de plus en plus les ordinateurs, smartphones et tablettes pour se divertir. Les conditions sont donc propices pour adapter l’offre à une demande grandissante.

Face à cette situation, des opérations de promotion ont été lancées par les propriétaires de sites pornographiques : accès gratuit à des contenus normalement payants, réduction sur des offres premium, etc… Pour faire oublier la distanciation sociale, Marc Dorcel propose entre autres “des gros films à histoire” qui ont rivalisé avec les émissions les plus populaires du moment.

La pornographie : un piment doux-amer

La gérante d’une société de “Cam Live” basée à Bucarest reconnaît que son offre répond particulièrement aux besoins des personnes seules, particulièrement isolées durant cette période de confinement.[4] Elle se félicite de pouvoir procurer ainsi du réconfort et de voir ses bénéfices augmenter du même coup.

Le porno serait donc un bon palliatif pour échapper à la routine monotone du confinement. Le professeur Simon Corneau de l’Université du Québec à Montréal, spécialisé en sexologie, explique que la pornographie permet de tuer l’ennui du confinement tandis que la thérapeute de couple et sexologue Evelyne Dillenseger affirme que « s’ouvrir à la pornographie apporte du piment dans les ébats sexuels » et contribue à désinstaller les habitudes. [5],[6]

Est-ce l’avis de tous ? Clémence, une jeune femme de 20 ans, observe que la sexualité a beaucoup évolué durant ces dernières années et particulièrement depuis le début du confinement. Elle considère que « le sexe à deux n’a plus la même signification […]. On vit des choses quand même super particulières actuellement […]. Je trouve qu’on n’est pas hyper bien guidés pour cette nouvelle sexualité. Il y a le sujet de la sexualité en solitaire; je pense que c’est problématique au niveau de la consommation de pornographie ».[7] Selon elle, la pornographie devient problématique à partir du moment où elle influence la vie sexuelle des consommateurs. « Quand on va sur des sites mainstream (…) c’est des pratiques vraiment violentes pour la femme. Ce n’est pas au goût de tous et toutes, et les gens prennent ça pour un acquis quand ils couchent avec quelqu’un pour la première fois. Ils pratiquent des choses qui sont relativement extrêmes pour quelqu’un qui n’aime pas forcément ça. J’ai vraiment beaucoup de connaissances qui ont subi des agressions sexuelles, des viols… C’est un gros, gros, sujet et il y a beaucoup de problèmes », confie-t-elle.

Si Caroline Le Roux, psychologue et sexologue à Paris, fait remarquer l’importance de « maintenir une vie sexuelle » pendant le confinement, demeurant « une source d’oxygène dans ces moments difficiles », elle ne conseille pas pour autant la pornographie pour booster la vie sexuelle des couples : « il n’est pas garanti que les films pornographiques permettent d’avoir une sexualité plus épanouie. » En effet, elle stimule davantage les fantasmes solitaires du spectateur que l’union sexuelle[8],[9].

Selon Mile Stabile de la Free Speech Coalition, une association américaine militant pour « le droit à la pornographie », le porno reste une bon dérivatif au cœur du confinement. « Les gens sont bouclés chez eux et ont besoin de se défouler ».[10] Il est donc l’heure de faciliter l’accès à la pornographie.

Avec l’isolement, l’impossibilité de sortir de chez soi pour faire « autre chose » et le ras-le-bol du distanciel, la pornographie peut devenir un lieu de décompression, un vecteur pour extérioriser les angoisses, les peurs et les contrariétés.

Cependant, Thérèse Hargot, sexologue et thérapeute, est sceptique sur les effets positifs des contenus pornographiques. Selon elle, la banalisation de la pornographie renforce l’isolement du consommateur et risque, à termes, de l’éloigner de la relation sexuelle.

« Si on ne change pas radicalement notre façon de concevoir la sexualité, notre façon de la vivre, dans dix ans on pourra observer que les couples n’auront plus de relations sexuelles […]. Ils auront encore une vie sexuelle, mais qui se vivra en dehors du couple: la pornographie, la prostitution, des rapports sexuels extra-conjugaux ». [11]

Par ailleurs, la consommation de pornographie chez les adolescents pose de nombreux problèmes. Hyper-exposés durant le confinement, certains manifestent des symptômes tels que la dépression, le développement de comportements violents dans leur sexualité, des difficultés de mémorisation et de concentration ou encore une intégration accélérée des stéréotypes de genre…[12]

Conscients de ces dangers, les producteurs de films pornographiques tentent pour certains de limiter l’accès aux sites pour les jeunes: « On demande un numéro de carte bleue, sans aucun débit, pour servir de preuve de majorité ; nous sommes très engagés sur la protection des mineurs », précise Marc Dorcel. Cependant, les restrictions mises en place semblent encore manquer d’efficacité. Trop de sites restent encore trop facilement accessibles aux mineurs.

L’essor de la pornographie amateur pendant le confinement

Face à la forte demande, de nouvelles offres voient le jour. Ainsi, le site Jacquie et Michel a vu une explosion du porno « fait-maison » durant le confinement. Les contenus de ce style répondent à une demande grandissante (une hausse de 40% entre 2019 et 2021 sur ce site).[13]

On retrouve la même évolution sur le site communautaire américain Reddit. Sur un subreddit dédié, le nombre de photos et vidéos érotiques amateurs s’est accru de 20%. On observe que ce type de contenu rassemble des communautés de fans en forte croissance, mélangeant acteurs et spectateurs confinés.[14]

Le seul hic, c’est que le porno amateur reste un univers professionnel mal protégé et son développement anarchique ne va pas sans dérives. En mars 2020, une entreprise américaine qui gère une plateforme de vidéos érotiques live a ainsi lancé une opération de recrutement attractive aux salariées de la restauration rapide soudainement au chômage en raison de l’épidémie. La société a mis en place « une offre spéciale » pour convaincre les désœuvrées du confinement de devenir des « camgirls. » Alice, une ancienne du métier, dénonce cette stratégie marketing :[15]

« Comment quelqu’un peut-il sainement se dire : « Tiens, du chômage technique chez McDo, chouette, ça va faire des camgirls ». Les gens sont vraiment perchés. »

Parmi ces vidéos accessibles sur la plupart des sites pornographiques populaires, certaines sont postées sans le consentement d’au moins une des personnes présentes. De plus, il n’est pas toujours clair si ces personnes sont des acteurs ou bien de simples particuliers filmés à leur insu. Pour lutter contre cette dérive, la plateforme Pornhub supprime plus de 10 millions de vidéos en décembre 2020. En complément, le site a également fait le choix d’interdire la mise en ligne de vidéos par des comptes utilisateurs non vérifiés.

Quid des enfants dans tout ça ?

Depuis que le début de l’épidémie, les enfants entre 6 et 12 ans passent en moyenne 7 heures par jour devant les écrans, selon les premiers résultats de l’étude “Covid-écrans en famille”.[16] Ces longs temps d’exposition peuvent être l’occasion d’une découverte volontaire ou involontaire de pornographie. En février 2020, Cédric O, secrétaire d’état chargé de la transition numérique et des communications électroniques et Adrien Taquet, secrétaire d’état en charge de l’enfance et des familles, ont présenté à l’occasion du SafeR Internet Day, une plateforme dédiée aux parents pour lutter contre l’exposition des enfants à la pornographie en ligne. Adrien Taquet rappelait qu’aujourd’hui « plus d’un enfant sur trois a vu des contenus pornographiques avant l’âge de 12 ans, et deux tiers considèrent que ça les a choqué ». Conscient que « cela continuera et [qu’] on va aller vers davantage d’écrans », Cédric O déclare que « le fond du sujet, c’est de savoir maîtriser ces écrans. »

On pourrait penser que ces premiers visionnages suffisent pour les en éloigner. Cependant, dans certains cas, des enfants finissent par en rechercher, parfois de manière compulsive. Bien plus, selon une étude réalisée en 2016 par la National Society for the Prevention of Cruelty to Children, plus de la moitié des garçons (53 %) et plus d’un tiers des filles (39 %) déclarent croire que la pornographie est une représentation réaliste du sexe.[17] La consommation de pornographie chez les enfants n’est donc pas si anodine qu’on pourrait le penser et le confinement est sans doute l’occasion d’en prendre davantage conscience.

[1] Ovidie, A un clic du pire: la protection des mineurs à l’épreuve d’Internet, Essai, Anne Carriere Editions, 23 février 2018

[2] France Info, « Coronavirus : la consommation de sites pornographiques a “augmenté de 50%”, selon le secrétaire d’Etat chargé du Numérique », 27 mars 2020, https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/video-coronavirus-la-consommation-de-sites-pornographiques-a-augmente-de-50-selon-le-secretaire-d-etat-charge-du-numerique_3887469.html

[3] CLV Magazine, « La pornographie en plein essor pendant le confinement », 12 mai 2020, https://clv-magazine.ch/index.php/blog/67-la-pornographie-en-plein-essor-pendant-le-confinement

[4] CLV Magazine, La pornographie en plein essor pendant le confinement, 12 mai 2020, https://clv-magazine.ch/index.php/blog/67-la-pornographie-en-plein-essor-pendant-le-confinement

[5] TVA Nouvelles, « Pornographie en confinement : encore plus, mais différemment », 10 Novembre 2020, https://www.tvanouvelles.ca/2020/11/10/pornographie-en-confinement--encore-plus-mais-differemment

[6] Le Parisien, « Confinement : les sites pornographiques, plaisir solitaire ? », 1er Avril 2020, https://www.leparisien.fr/societe/confinement-les-sites-pornographiques-plaisir-solitaire-01-04-2020-8291841.php

[7] RTS, « Les jeunes et la sexualité en Suisse, Pourquoi les jeunes ont tant de peine face aux nouvelles sexualités », 03 août 2020, https://www.rts.ch/info/suisse/11507124-pourquoi-les-jeunes-ont-tant-de-peine-face-aux-nouvelles-sexualites.html

[8] Le Parisien, ibid.

[9] We Are Lovers, « Le Porno dans le couple », le 15 avril 2020, https://wearelovers.medium.com/le-porno-dans-le-couple-472dce0aaf87

[10] Courrier International, « Le confinement a bouleversé l’industrie de la pornographie », le 13 juin 2020, https://www.courrierinternational.com/article/sexe-le-confinement-bouleverse-lindustrie-de-la-pornographie

[11] RTS, ibid.

[12] The Conversation, « Pornographie en ligne : des risques préoccupants pour les adolescents », 19 avril 2021, https://infodujour.fr/culture/medias/48409-pornographie-en-ligne-des-risques-preoccupants-pour-les-adolescents

[13] Le Monde, « Confinement et pornographie : le pic fantasmé de la consommation en France », 04 avril 2020, https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/03/31/confinement-le-pic-fantasme-de-la-consommation-de-pornographie-en-france_6035090_4408996.htm

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] 20 Minutes, « Pornographie : « Il faut aider les parents à mieux protéger leurs enfants », déclarent Adrien Taquet et Cédric O », le 07 février 2021, https://www.20minutes.fr/societe/2970167-20210207-pornographie-faut-aider-parents-mieux-proteger-enfants-declarent-adrien-taquet-cedric-o

[17] Martellozzo, E., Monaghan, A, Adler, J. R., Davidson, J, Leyva, R. and Horvath, M. A. H, “I wasn’t sure it was normal to watch it…” A quantitative and qualitative examination of the impact of online pornography on the values, attitudes, beliefs and behaviours of children and young people », 2016, London: Middlesex University, https://www.mdx.ac.uk/__data/assets/pdf_file/0021/223266/MDX-NSPCC-OCC-pornography-report.pdf

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We Are Lovers

We Are Lovers: une association au service de la sensibilisation des jeunes aux conséquences de la consommation de pornographie.